Sur la route d'Eziyeh

[CARNET DE VOYAGE #15] – L’Iran à vélos, une traversée bipolaire sur fond de révolution

La plus pure humanité au royaume de la répression; entre bêtise, bravoure et autrucheries. 🤯

Ce retour est honnêtement l’un des plus difficiles à retranscrire, tant la bipolarité aura été le maitre mot de ce passage à vélos dans la « République Islamique d’Iran ».

Il n’aura pas le même format que les autres : pas de partage de photos/infos/noms/lieux reliés aux personnes qui -défiant le gouvernement- nous ont chaleureusement accueillies : ce qui peut paraître de l’ordre du détail pour nous peut leur coûter leur liberté.

Comme l’Arménie, c’est un pays qu’on avait rayé illico de notre itinéraire (le premier, celui qui imaginait que l’Azerbaïdjan ouvrirait ses frontières terrestres). Il nous attirait par son histoire mais nous posait politiquement un sérieux problème. Pire, il y a 6 mois, on lisait « Soufi, mon amour » (la rencontre entre le poète Rumi et le derviche Shams Tabriz) en regrettant de ne pas pouvoir passer par ces lieux de naissance du soufisme.

Et nous voilà à la frontière du pays, hésitantes. Au vu des dernières infos, on revoit un peu notre trajet : on décide d’éviter soigneusement la capitale Téhéran, le Kurdistan et la côte nord du pays, les endroits où les protestations semblent être plus intenses depuis la mort de Masha Amini. 

« On va jusqu’à Khoy, et on voit comment ça se passe. Si ça ne va pas, on repart en Turquie » fût notre première idée. 

Franchir LA frontière iranienne à vélos. 🔒

On a entendu tellement de récits… « ils vous retirent même le vinaigre blanc » , « ils ont tout fouillé », « vous avez un drone?! Faites le envoyer par la poste en Géorgie ! », « des heures de questions », « tout ce que vous avez peut paraître louche », « cachez vos caméras, disque dur, cartes mémoires », « ils vous enlèvent toute nourriture pour vous forcer à tout ré-acheter sur place », « vous ne trouverez rien avant au moins 100 km » … etc etc. On se monte le bourricot, on s’en fait toute une montagne et nous voilà, à quelques kilomètres du pays, la boule au ventre, à 5h du matin, à réorganiser nos sacoches par 0°. On cache le drone sous une pile de slips, de serviettes hygiéniques et de chaussettes sales. On dissimule nos cartes mémoires avec le café; on range le disque dur dans une boite de maquillage : de vrais contrebandiers. On sort alors nos plus longs vêtements. En Iran, il faut cacher chaque partie de son corps (particulièrement pour les femmes) : bras, cheveux, jambes. Par cette température, ça ne nous gêne pas vraiment. 

Alors qu’on approche le tout petit poste de frontière dans la montagne, notre parano est à son apogée. 

On approche de Khoy, enfin !
On approche de Khoy, enfin !

Tremblantes, on avance à tâtons. L’un des officiers nous interpelle et nous fait signe de venir. Après avoir soigneusement contourné les rayons X, nos vélos sont déposés et gardés à la sortie. Aucune fouille, aucune question étrange et des douaniers sympas ! En prime, un gang de militaires se charge de nous faire passer devant tout le monde -on n’en demandait pas tant ! Soulagées, il nous faudra tout même 20 km de redescente pour oser sortir un appareil photo, au milieu de nulle part. 

Sur la route de Khoy
Première photo en Iran, en route pour Khoy

Première escale à Khoy. 💸

Première mission : changer des dollars en Rials. 

Aucune carte bancaire étrangère ne fonctionne dans le pays à cause de l’embargo, ça demande donc un peu d’anticipation ! Début de la confusion : avec un billet nous voilà avec des liasses énormes : on est millionnaires et on ne comprend rien à la monnaie locale. Dans cette ville paisible, on découvre avec stupeur que c’est ici que le derviche soufi Sham Tabriz est enterré ! Après lui avoir fait un coucou, on se remet en route. 

Tombe de Shams Tabriz, Khoy
Tombe de Shams Tabriz, Khoy

Les femmes et le voile. 🧕

Dès que les degrés reprennent, les longueurs qui couvrent tout notre corps commencent à se faire sentir : Pédaler avec un voile, c’est pas si simple! Comment le porter sans ressembler à un oeuf de Pâques ? Comment faire en sorte qu’il tienne malgré le vent et l’effort ? Comment faire pour qu’il ne traine pas dans les pédales ? Comment le positionner pour ne pas avoir la moitié du champ de vision en angle mort ? Comment supporter la chaleur qui s’en dégage, sous le soleil ardent ? Et là ? Est-ce que des mèches dépassent ? À force d’effort, on en fait trop et rapidement la question tombe : « Vous êtes musulmanes? » 

« Tu portes mieux le voile qu’une iranienne ! » 

Mosquée Cheikh Lotfollah, Isfahan
Mosquée Cheikh Lotfollah, Isfahan

Les iraniennes portent souvent des voiles colorés qu’elles laissent nonchalamment tomber pour faire apparaitre les cheveux et lorsque nous sommes invitées, rapidement on nous fait signe de retirer le hijab et de se mettre à l’aise ! Nos amis sont bien souvent gênés de ce dictat imposé à toutes les femmes, quelle que soit leur croyance. On ne sait trop comment se situer dans ce contexte. D’autant qu’on croise également des discours différents : une femme nous interpelle  pour nous demander notre avis sur le port du voile, on répond -un peu déroutées- par une réponse toute faite, l’échange se conclut par un vif « Merci de respecter la culture musulmane de notre pays » ! On s’empresse alors de relever l’écharpe sur nos cheveux, une gêne au coin de la lèvre. 

Voile ou pas voile, ce qui nous frappe dès les premiers jours, c’est l’approche de ces femmes. Elles sont fortes, charismatiques et avenantes. Jamais dans aucun pays autant de femmes sont venues à notre rencontre avec tant de questions et de spontanéité, le temps d’un échange, d’un sourire, d’un thé ! 

À l’approche des villes, on est aussi surprises de croiser tant d’iraniennes avec un petit pansement carré sur le nez. 

  • Ça en fait des coups de boule ?!

On comprend ensuite qu’il s’agit de rhinoplasties ! Avec ce foutu voile obligatoire, il y a une réelle obsession du « visage parfait » : en même temps, quand ton nez est une des seules parties visibles de ton corps, on peut comprendre que tu y prêtes une attention particulière ! Bien entendu, le maquillage complet est également de rigueur et la chirurgie esthétique un « graal » vers lequel beaucoup tendent (même les hommes) !

Liberté d’expression ? 🔫

On est rapidement surprises d’entendre parler aussi librement les gens de la politique, du contexte économique désastreux et de la répression violente. Les iraniens sont particulièrement curieux et ouverts à la discussion. Évidemment, de notre côté, on a conscience qu’il y a certains sujets à éviter et surtout qu’il faut faire attention à chaque mot que l’on prononce : les espions sont nombreux et on ne sait jamais qui l’on a en face de nous. 

On nous aborde souvent dans des endroits publiques pour nous demander d’où l’on vient et ce que l’on pense de l’Iran, de la politique, des iraniens, du gouvernement, de la religion… C’est frustrant de ne pas pouvoir répondre sincèrement et librement à ces questions ! On doit se contenter d’émettre des réponses fuyantes et superficielles. Les mots n’ont pour autant pas besoin d’être prononcés : les regards en disent suffisamment long. 

Seul sujet que l’on peut étayer : le regard des français sur les Iraniens : nombreux sont ceux qui nous demandent (avec insistance) si l’on pense qu’ils sont terroristes ! Alors que tous rêvent de fuir le pays, ils sont inquiets de l’étiquette que les occidentaux peuvent leur coller à cause des délires de leur gouvernement. 

Isfahan Place Naghch-e Djahan
Isfahan, Place Naghch-e Djahan

L’arrivée dans une région plus « libre » : l’Azerbaïdjan. 💙

Les habitants nous précisent rapidement avec fierté qu’ici ce n’est pas l’Iran, c’est l’Azerbaïdjan. Un peuple Turc! La transition est douce : on prend plaisir à échanger avec nos quelques mots de turcs. 

Cependant l’excès de gentillesse est encore pire qu’en Turquie : on nous arrête tous les kilomètres pour nous offrir des fruits ! À mesure que l’on pédale, les sacoches se gonflent de pommes, raisins, pêches ! Encore mieux que le ravitaillement du Tour de France, sur la quatre voies une voiture ralentit à hauteur d’Anai, la passagère baisse la vitre et lui tend 3 pommes. Anai les attrape agilement -tout cela sans s’arrêter ! 

Un bébé pour GG
Un bébé pour GG

Pour ajouter un peu de piment, le même jour, on remarque une voiture blanche -reconnaissable car flambant neuve- qui nous suit pendant près de 10 km. On salue l’effort : ce n’est pas une mince affaire de suivre des vélos qui roulent à 20km/h sur une autoroute blindée et qui s’arrêtent tous les 500 mètres pour manger des fruits ! Le type ne lâche rien : il s’arrête inlassablement sur le bas côté à chaque pause puis repart lorsqu’on le double. Cette cérémonie absurde l’aura occupé une bonne heure! On finit par enfin le semer à l’entrée de la ville grâce aux embouteillages. On ne connaitra jamais la raison de la course poursuite la plus lente de l’histoire et de la plus mauvaise filature du siècle.

Fond d'écran Windows désertique
Fond d’écran Windows désertique

On pousse alors les vélos dans la ville, en attendant patiemment que celle-ci se réveille de la sieste. On avait en tête de pousser la porte du Croissant Rouge pour y passer la nuit : il parait que ça se fait ici ! On n’a même pas eu le temps de l’atteindre qu’une voiture s’arrête, un homme enthousiaste sort, suivi de sa femme. Il nous fait comprendre qu’il fait du vélo et qu’il va nous trouver un endroit où dormir. On se met donc à suivre cette voiture qui nous mène à un magasin de vélo. Nous voilà dans ce qu’on nommera le « tourbillon iranien », une effervescence de monde qui grouille autour de nous avec la séance photo qui va avec ! On est prises sous tous les angles. Tellement de photos qu’on pourrait faire notre modélisation 3D ! Pendant que les smartphones s’agitent, les vélos sont regonflés sans même que l’on s’en aperçoive. On nous emmène ensuite dans un appartement où on se fait accueillir comme des reines ! On passe une soirée incroyable avec une autre famille qui nous ballotte de centre commercial en cafés, puis d’autres shops en restaurants pour nous présenter tout le monde ! Ils ont même pris soin de passer récupérer leur nièce de 16 ans à l’anglais impeccable qui, dès lors, a la lourde tâche de traduire tous les échanges !

Le lendemain matin, réveil de bonne heure ! Le tourbillon n’est pas fini ! On était loin de s’imaginer que le club de la ville nous attend pour pédaler les 20 premiers kilomètres avec nous, suivis par une voiture balai ! Plus d’une quarantaine de personnes : des jeunes, des vieux, des femmes, ça nous a fait chaud au coeur d’emmener avec nous ce joli petit monde ! Alors qu’hier encore on imaginait partir comme des souris, le groupe de jeunes s’affairait : ils nous confient avoir été stressés à l’idée de rencontrer pour la première fois des étrangères : ils ont passé la soirée à réviser leur anglais et à faire des fiches ! 

Lac salé d'Ourmia
Lac salé d’Ourmia

Première interaction avec la police. 👮

Après une immense ligne droite interminable sans la moindre ombre, on aperçoit sur le bas côté un bâtiment, on ne sait pas trop de quoi il s’agit mais on s’arrête ! Deux policiers assis en tailleur, tasse de thé en main, nous font de grands signes et nous invitent sur leur tapis de pique nique sur pilotis. On obtempère. On s’assoit en face, pas très à l’aise de côtoyer la police iranienne dans ce contexte. Intérieurement, on sourit « Même en uniforme, un flic en chaussette avec un çay, ça perd en crédibilité quand même ». 

Commence alors le défilé de la nourriture, le thé coule à flot, les selfies s’enchainent. On comprend rapidement que nous sommes dans un restaurant. Le propriétaire nous fait gouter nos premières pistaches fraiches ! Une discussion s’enclenche rapidement, avec leurs quelques mots d’anglais et nos quelques mots de Turcs, on se comprend presque bien ! On en profite pour leur demander si l’on peut planter la tente derrière le bâtiment.

« Dormir sous la tente !? Pas question !! ». Dans leur vision, ce n’est pas prudent de camper pour deux femmes, c’est même impensable (il nous sera d’ailleurs souvent impossible de réussir à camper sans qu’on vienne nous inviter, sous prétexte que « c’est dangereux ici »). Le policier se met alors en quête de nous trouver un endroit où crécher. C’est finalement le gérant du restaurant et sa femme qui nous accueillent. Nourriture à volonté, fou rire, et visite de leur exploitation de pistaches ! On passe une belle soirée dans leur maison au sol couvert de pistaches (qui sèchent) ! Le lendemain, nous voilà prêtes à reprendre la route, le coeur rempli de gratitude et l’estomac plein d’un petit dej de champion!

Opération séchage de pistaches
Opération séchage de pistaches

Tabriz. 🕌

Après une très grande journée de route, nous voilà arrivées à Tabriz avant 16h (LE Tabriz de Shams Tabriz!). On n’y rencontrera pas Shams, mais Lamin, voyageur algérien d’une soixantaine d’années. Il nous époustoufle par sa positivité. Il vient d’arriver après 36h de bus au départ d’Istanbul, fatigué mais toujours debout et prêt pour crapahuter dans la ville, alors même qu’il a oublié ses souliers dans la navette. On passe une belle journée avec lui, on aime l’écouter raconter ses histoires de vie en voyage et en Algérie ! On le recroise d’ailleurs complètement par hasard sur l’île d’Hormuz, trois semaines plus tard ! 

Lamine
Lamine

Un nouveau coéquipier. 🚲

Après une dizaine de jours en Iran, Raph’, un ami du Quebec nous rejoint pour partager ses 3 semaines de vacances en direction du sud, Dubaï, où nous prendrons nos avions respectifs. Sur le papier l’idée est idéale, la réalité est, bien entendue, plus contrastée. Entre la joie de revoir un ami et les difficultés de faire entrer en adéquations nos volontés et visions du voyage, ces 3 semaines à 3 sont un nouveau défi ! On ressent de plein fouet la différence entre un voyage au long court et des vacances. Et plus on est nombreux, plus la prise de décision peut être compliquée : alors dans un contexte aussi particulier que celui ci, vous n’imaginez même pas à quel point ça peut coincer ! On a déjà partagé des bouts de route avec de nombreux voyageurs, mais là, tout est différent! Une nouvelle dynamique s’instaure, on se marre bien, et on constate encore à quel point c’est différent de voyager en présence d’un homme. On ne nous parle même plus et on doit bien avouer que dans certains contextes, c’est pas déplaisant ! 

Raph et la shisha
Raph et la shisha

Ils toisent Raph du regard avant de lâcher : « Iranien? ». Brun aux yeux foncés, ils tombent tous dans le panneau ! Avec son vélo local et ses sacoches de Sherpa, ça ne peut être que notre guide! Avec les quelques mots de farcis qu’il a appris, Raph joue le jeu. Quand ils comprennent l’entourloupe, ils n’y croient quand même pas : « You look like Iranian !! ». 

Caravansérail. 🏜️

Après avoir commencé fortuitement la traversée du désert (par chance, la veille quelqu’un nous avertit qu’il n’y a plus rien sur les 120 prochains kilomètres : « pas d’asphalte, pas d’eau, pas de station service, pas de nourriture, pas d’arbre, le désert quoi! »), on s’arrête pour la nuit dans un caravansérail. Vaste cour entourée de bâtiments où les caravanes faisaient halte sur la route de la Soie. Un havre de paix où planter la tente dans l’immensité désertique, à l’ombre ! Ici, pas de pollution lumineuse, la nuit est noire et laisse apparaître la voie lactée ! 

Coucher de soleil sur le caravansérail
Coucher de soleil sur le caravansérail

En pleine nuit, Anai réveille GG. « Quelqu’un marche autour de la tente ». Les bruits de pas s’approchent jusqu’à marcher sur la bâche à quelques centimètres de nos têtes. On prend alors notre courage à deux mains pour ouvrir la toile: qui rode ici, au beau milieu de nulle part ? Un magnifique et farouche renard famélique lève la tête et nous regarde fixement sans bouger ! On les dérange (lui et sa famille) alors qu’ils se régalent dans la poubelle qu’on a laissée trainer devant la tente ! 

Internet et la connexion avec la réalité. 🚫

Dans le pays, les coupures internet sont nombreuses et pour contourner la censure il faut utiliser un VPN. Les premiers jours, on s’en sort assez bien avec les wifi qu’on croise sur notre route. Mais cela cesse de fonctionner rapidement: le gouvernement iranien fait preuve d’une créativité infinie pour restreindre la communication entre les personnes, censurer la sortie des infos (les images de répression surtout) hors du territoire : ils réussissent chaque jour la prouesse de dézinguer un à un les meilleurs VPN. On a rencontré un jeune homme qui nous a confié avoir 36 VPN.

– Quel gouvernement est capable de couper l’accès à internet, au risque même d’auto-nuire à sa propre économie ?

L’art de se tirer une balle dans le pied : mais qu’est ce qu’ils s’en fichent les barbus au pouvoir ! 

Sec.

Sans accès à internet, c’est si dangereusement facile pour nous de se déconnecter de la réalité politique du pays. On pédale au milieu de nulle part, on rencontre des personnes incroyables. Chaque nouvelle connexion fortuite au réseau nous rappelle avec violence à quel point la situation dans le pays est dramatique et se détériore de jour en jour. Des iraniens et iraniennes blessés, emprisonnés pour avoir manifesté, parfois tués. Des arrestations arbitraires de touristes, fouille de téléphone : photos, contacts. La répression est de plus en plus forte. 

Ça fait maintenant plus de 7 mois qu’on est sur la route et on n’a jamais autant ressenti de contradictions. Qu’est ce qu’on fait là ?

Une vision complètement opposée du « camping sauvage ». ⛺

Alors qu’il nous était quasiment impossible de camper à 2; la présence de Raph tranquillise soudainement les craintes des Iraniens. Ils nous conseillent tout de même : « ne campez pas loin des villes et villages, plus il y a de monde autour, mieux c’est ! ». On est déroutés mais on finit par obtempérer : il y a des espaces dédiés dans chaque ville (« non non, ne mettez surtout pas la tente dans l’herbe, mais sur la partie bétonnée ») : le parc se transforme soudainement en partie de shisha-çay-camping à la tombée de la nuit !

Camping "sauvage" à Varzaneh
Camping « sauvage » à Varzaneh

Les jeunes et l’homosexualité. 🏳️‍🌈

On sympathise avec le jeune serveur d’un restaurant. Le lendemain, il nous invite chez lui avec sa famille. Impossible de payer quoi que ce soit: nous sommes ses invités ! Il nous confie, les larmes aux yeux, son envie de quitter l’Iran, comme tellement d’autres jeunes. Il apprend l’anglais avec envie et rapidité. Il nous raconte aussi que beaucoup de ses amis sont homosexuels, et qu’ils risquent la peine de mort pour cela. Alors qu’il nous demande comment est la situation en France, il a des étoiles dans les yeux quand on lui apprend que le mariage y est légal. 

  • À chaque belle personne rencontrée, on peut rire aux éclats comme ressentir une profonde tristesse à l’écoute de certains récits.

Mais qu’est-ce qu’on fout là ? 🧨

Plus les jours filent, plus on entend d’histoires dramatiques et plus on se sent impuissantes. On est au milieu du pays quand l’ambassade de France demande à tous ses ressortissants de quitter l’Iran dans les plus brefs délais. Et pour cause, il y a de nombreuses arrestations arbitraires de touristes. 

  • Est-ce que ça vaut le coup de risquer sa liberté pour un voyage ? Et peut être même de mettre en péril celle des personnes que l’on rencontre ? L’humain occidental est doté d’une imparable capacité à se convaincre qu’il est plus malin que les autres, que lui ne se fera pas arrêter, qu’il sait veiller à sa propre sécurité. On peut se convaincre du contraire, mais on a aucune idée de ce qui se passe vraiment.

Plafond mosquée Yazd

Nadushan, le combat du çay. 🫖

Après deux jours dans le désert, on s’effondre sous le premier arbre pour dévorer notre pique nique. Les gens sont intrigués par notre présence ici. Des enfants s’approchent timidement et émettent en boucle des « hello » « hello » amusés ! Une première famille s’approche et nous invite chaleureusement. On refuse plusieurs fois, conformément à la règle du « Taruf » puis on finit par accepter en précisant que l’on termine notre bout de pain avant de venir. Une seconde famille débarque quelques minutes après et nous invite à son tour pour un thé ! Tout le monde insiste, à droite, à gauche… On ne sait plus où donner de la tête !

Quelques heures plus tard, un homme nous guide vers une guesthouse qui nous a été conseillée ! Nous voilà face à une bâtisse incroyable : un château dressé en haut d’une colline. La vue sur Nadushan est juste incroyable ! On rigole : il doit y avoir une erreur ! Il secoue la tête: c’est bien là !

Nadushan
Nadushan

Désormais châtelains malgré nous, on a le droit à une visite exclusive du village : on entre dans la salle de prières, on découvre la personne derrière les psalmodies qui s’écoulent des hautes tours de la mosquée, on grimpe sur tous les toits, terrasses, toutes les cours s’ouvrent et on monte même au sommet du minaret ! On se demande si on n’est pas en train de tourner à l’hérésie mais l’authenticité de notre hôte vient soulager nos doutes.  

Toujours dans des zones désertiques, et dans l’incroyable harmonie du village, on est encore une fois loin de pouvoir se représenter les enjeux qui se trament dans les grandes villes. Internet vient soudainement de fonctionner, comme une piqure de rappel. 

Shiraz, pas Shiraz? 💣

Après de longs débats, c’est parti pour Shiraz, « puisqu’il le faut ». Visiter la célèbre mosquée rose et le site de Persepolis. Sans doute le site le plus touristique du pays qu’il « faut voir impérativement ». On ne retient pas grand chose de cette ville que l’on visite ultra rapidement, le coeur serré: qu’est ce qu’on fout là ?

Mosquée rose de Shiraz
Mosquée rose de Shiraz

24h top chrono avant d’enchainer avec un bus de nuit pour Bandar Abbas.

  • Faire l’autruche, c’est ça la clé ? Pour nous c’est impossible. Visiter un pays dans ce contexte devient un supplice. On a qu’une envie, passer la frontière et prendre notre foutu vol pour Delhi. Seulement on est trois maintenant, on prend les décisions à trois et on doit faire des compromis. Compromis qui mettent notre liberté en danger ? Faisons en sorte de limiter la casse, ensemble. La superficie gargantuesque du pays nous pousse à faire moins de vélos et à transiter de ville en ville dans des bus. Pour être honnêtes, on n’aime pas ça. On a juste l’impression de survoler, ça va bien trop vite et en même temps, pas assez. On descend du bus avec l’impression d’avoir changé de pays -mais toujours pas. C’est assez frustrant, mais on tente de s’adapter, ça fait aussi partie du voyage !

Ile d’Hormuz : enfin sortis ! 🎊

Premier soulagement: ne plus être sur le « continent ». C’est pas grand chose, mais on respire déjà mieux malgré les soudains 40° et le taux extrêmement élevé d’humidité. On se souvient d’Hamed, iranien que l’on avait rencontré en Turquie: 

« Si vous devez visiter UN SEUL endroit en Iran, c’est l’île d’Hormuz !». On comprend mieux. 

Rainbow valley
Rainbow valley

Hormuz, c’est une petite île de pêcheurs aux paysages montagneux et volcaniques dont les couleurs sont autant magnifiques qu’irréelles ! Ici, le sable rouge se mange ! 

Le prix de la liberté ? 🤮

De nouvelles rencontres nous rappellent la sévérité et le contrôle du gouvernement : on apprend qu’il faut faire un service militaire de 2 ans pour espérer avoir un passeport. Ceux qui n’obtempèrent pas « peuvent » payer 20 000 $ pour espérer voyager à l’extérieur des frontières. 

Ile de Qeshm : attendre le ferry pour Dubaï. ⛴️

Drôle de sentiment, comme si le voyage était terminé et qu’on était dans l’attente de prendre notre vol. L’ambiance sur l’île est différente de l’Iran qu’on a côtoyée ! Les immeubles poussent comme des champignons, les voitures sont pour beaucoup flambants neuves et des femmes sont cachées par des masques/burqas colorées. On quitte Raph, bien entouré, pour quelques jours, le temps de faire chacun un bout de route à notre façon, sur cette île paisible, avant de se retrouver pour traverser joyeusement le Golfe Persique.

Troupeau de dromadaires, berger en scooter
Troupeau de dromadaires, berger en scooter

Dernières piqures de rappel. 

On vient de trouver un VPN qui fonctionne et on reçoit le témoignage d’un cycliste allemand qui a été arrêté et longuement interrogé, encore.

À Bandar Abbas, alors que la nuit tombe, les iraniens se regroupent pour manifester et crier à la dictature : la réaction est immédiate : la milice à moto se charge de tirer sur l’ensemble des manifestants et des non-manifestants. Les habitants commencent à acheter des armes pour se défendre. On nous parle de guerre civile.

L’occasion de nous poser encore les mêmes questions : pourquoi on est là ? Risquer sa liberté pour un voyage ? Visiter consciemment un pays que des millions de locaux rêvent de quitter? Visiter un état policier qui sème la terreur ? Pourquoi ? 

Ile d'Hormuz
  • On ne se sent plus en accord avec les valeurs de notre propre voyage. Mais voyager à trois c’est trouver des compromis. On aurait pu se séparer, partir chacun de notre côté à l’aventure -impossible de laisser partir un ami seul dans un contexte aussi instable. On se sent tellement impuissantes face à cette situation. On ne peut rien faire à part parler de l’Iran, porter la voix de ses incroyables rencontres et la bêtise de ce foutu gouvernement. 
  • C’est ce qu’on a essayé de faire. 

Prendre le large. 🙏

On monte les bécanes sur le ferry le lendemain matin, avec d’autres voyageurs à vélo. Ils partagent les mêmes questions et visions : ça fait du bien d’échanger sur ces sujets -et sur d’autres, plus légers aussi. 

Sur le pont du ferry, le vent fait tomber les voiles sur les épaules. 

Dubai se dessine avec soulagement au loin : on en rêvait franchement pas mais on est infiniment reconnaissantes de voir ces immenses tours modernes : on est sortis de l’Iran ! 

Route vers Dubaï ! Ponton du ferry
Route vers Dubaï !

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De tout notre voyage, les iraniens sont de loin les gens les plus ouverts, bienveillants et généreux qu’il nous ait été donné de rencontrer. Mais ce sont des habitants qui saturent de la répression, de la violence et de la connerie de leur gouvernement -qui ne fait qu’empirer ces deux dernières années. On ne peut que leur souhaiter de pouvoir, un jour, enfin vivre pleinement dans la liberté et la paix qu’ils méritent, qu’importe leur religion. On espère aussi avoir ne serait-ce que pu faire résonner un petit peu plus leur voix au-delà de leur territoire bien fermé. 

Drapeaux de prières

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