[Arménie 🇦🇲 Géorgie🇬🇪 Turquie🇹🇷, J+ 199 – 8 214 km. Du 15 au 27 septembre]
On rembobine ! L’absurdité politique et la fermeture des frontières entre l’Arménie et la Turquie nous poussent à remonter par la Géorgie pour continuer !
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Ninotsminda. Après un dernier col arménien et des paysages incroyables (quoique très arides), nous voilà de retour en Géorgie pour seulement une nuit. Sur la route on croise une ribambelle de personnes souriantes et sympas, on commence sérieusement à se demander si on est dans le bon pays. On réalise que beaucoup d’arméniens vivent ici : tout s’explique. Justement, après cette longue journée, on trouve une guesthouse tenue par un arménien hilarant. Un endroit simple mais bien pensé où l’on se sent hyper à l’aise. Cerise sur le vélo : il accepte que l’on paie avec les billets arméniens qui trainent encore dans nos poches. Le lendemain matin, le gérant est avec un ami. Quand on lui demande si lui aussi est arménien, il nous répond en se bidonnant « bien sûr qu’il est arménien, vous avez vu son nez !? ». L’Arménie nous manque déjà !
On prend alors la route pour la frontière Turque à vélos qui se trouve à seulement une cinquantaine de kilomètres. On décide de faire confiance à notre GPS pour emprunter un raccourci qui évite la route principale (qu’on imagine dense). On est seules sur la route, entourées de l’immensité de ces paysages montagneux arides. Quelques habitants nous regardent, interloqués -ce fameux regard, qui devrait nous alerter à force, mais non ! Puis Paf ! Quelques kilomètres, ça se gâte. L’asphalte disparait progressivement jusqu’à ce que l’on peine à distinguer le chemin des champs de cailloux ! Miracle, une voiture. Le type s’arrête et nous fait comprendre qu’il ne faut pas continuer, la route est vraiment mauvaise et bien trop raide. Il pointe alors une direction du doigt « Asphalte ! ». Au loin : rien. Des champs vallonés et rocailleux à perte de vue. Mais bon, on lui fait plus confiance qu’à notre GPS. Nous voilà donc à travers sécheresse, rochers et collines pendant plusieurs kilomètres. On admire des rapaces d’une envergure impressionnante sur chaque petit « sommet ». Puis, après avoir poussé, pédalé, poussé, pédalé: on retrouve enfin une « vraie » route ! Pour fêter ça, on s’offre une grignote réconfortante. Une camionnette s’arrête à notre niveau, deux hommes à l’intérieur. Un Arménien et un Turc, il nous expliquent qu’ils sont amis : ça fait encore plus chaud au coeur quand on connait la relation politique entre les deux pays ! 💙
De retour en Turquie.
Après avoir doublé une vingtaine de kilomètres de camions à l’arrêt, on passe la frontière en seulement quelques minutes. Une fois de l’autre côté, on retrouve une belle 4 voies -déserte-, avec « notre » splendide et si familière bande d’arrêt d’urgence ! La joie des retrouvailles est de courte durée : un col nous attend, en plein soleil. GG est à la traine aujourd’hui, si bien qu’une famille en Ford Tourneo-Connect prend pitié, s’arrête et insiste pour charger le vélo dans le coffre. C’est bien tentant, mais GG décline, et continue vaillamment les derniers 500m de son ascension à la force de ses mollets -avec quelques regrets. Mais cette fois, ça valait le coup ! Un panneau nous attend au sommet, comme pour nous féliciter et ENFIN reconnaître qu’on vient de se taper une sacré montée (et que c’est ENFIN fini)! ⛰️
Çildir. Une magnifique descente vient récompenser tous nos efforts jusqu’à nous mener à la ville de Çildir. L’occasion de changer de l’argent et de pouvoir manger ! Fatiguées, on passe la nuit dans ce village avant de s’élancer pour 97km, notre -presque- record ! On longe, seules au monde, et pendant 30 kilomètres l’incroyable lac bleu turquoise de Çildir.
Arpaçay. On bifurque dans le village pour trouver à manger (et oui, ça se répète assez souvent !). Comme d’habitude, on ne passe pas inaperçues avec notre drôle de chargement ! Sans même avoir eu le temps de pénétrer dans le moindre magasin, nous voilà chaleureusement invitées à partager un thé avec le maire du village et une dizaine d’autres personnes. Ils nous proposent de rester, mais voyant toute la route qu’il nous reste on décide de continuer. Après avoir réussi à acheter du pain et un bout de fromage, on s’échappe. On ne s’arrête qu’une fois sûres qu’on peut manger sans interruption/invitation : en plein cagnard, sur la bande d’arrêt d’urgence : impeccable! Le karma nous rattrape : cette fois c’est un grand chien blanc, affamé, qui débaroule de nulle part en aboyant. On se remet en route; et lui aussi. Il se lance dans une course effrénée pour nous suivre alors qu’on attaque une descente à 10% !
Kars. Après plusieurs jours assez épuisants, on s’arrête 3 jours à Kars. L’occasion de faire réparer nos béquilles dont les boulons ont cédé à l’intérieur du cadre. Avec le peu d’outils dans les sacoches, on se trouve bien cons ! Mais c’est rarement un soucis : on trouve un réparateur de vélo qui nous fait ça en quelques minutes, non sans nous offrir un çay et nous demander notre numéro.
On décide d’anticiper et d’acheter nos tickets de bus pour Van un peu en avance. On se rend dans les locaux de la compagnie de bus, l’occasion de préciser que nous voyageons avec nos destriers, et qu’on prend un peu de place ! La personne nous confirme qu’il n’y aura pas de problème pour les vélos et qu’il faut que l’on soit devant l’agence à 8 h. Le jour J, nous voilà devant l’agence. Une navette débarque, le type descend et regarde nos vélos l’air circonspect. À ce moment là, on comprend bien que ça ne va pas rentrer ! Le plan B est en marche : il charge nos sacoches dans le véhicule pour nous alléger et nous voilà parties pour le suivre à coups de pédales ! On se sent en pleine filature de nos propres bagages. On s’amuse beaucoup de cette petite course-poursuite matinale de 5 km : il nous en faut peu! 🙂 Comme prévu, le chauffeur du bus tire un peu la gueule en voyant ce qu’il va devoir mettre dans la soute. Après quelques baragouinages, on finit par le dérider, et surtout : lui faire accepter de prendre les bicyclettes! 🥳
Koçhkoy. Le vent dans la face, on pédale sur la bande d’arrêt d’urgence jusqu’à arriver dans un petit camping face au lac de Van. Un militaire nous accueille et nous invite à planter la tente à côté de l’emplacement d’une famille – les seuls campeurs. Seulement quelques minutes après avoir tout installé, on rentre à la maison pour faire une pause. On sent rapidement le vent qui se lève. On en rigole, on fait même une vidéo « on a déjà vu bien pire ». Comme si on l’avait provoqué, le vent devient de plus en plus fort, par à coups et s’arrête. On sourit en gobant des graines de tournesols. Le calme est de courte durée et le vent est de retour avec une inquiétante intensité croissante. Une tornade ! Depuis l’intérieur, on essaye de soutenir les arceaux et de tenir la bâche autant que possible pour éviter que ça casse ! Mais la tente plie, avec nous, la toile s’envole, on se sent aspirées (et terrifiées). C’est assez impressionnant, et clairement, à ce moment là, on ne fait pas les malines ! Puis le vent se calme soudainement. Il pleut. Puis ça souffle encore, par vagues (moins intenses). Anai sort pour lester au mieux la tente avec des briques pendant que GG met les affaires à l’abri de l’eau. Deux militaires viennent, armés de parpaings et de bonne volonté. Alors que la lutte contre le vent et l’adrénaline continuent (car l’ensemble est toujours un peu fragile et bancale), l’un d’eux utilise son traducteur pour communiquer avec Anai, sans grand succès, son attention est ailleurs : notre maison est toujours à deux doigts de s’envoler. Puis elle finit par lire : « Let’s have dinner ! ». Le sens des priorités !
Le temps s’apaise enfin, notre tente a désormais plus de briques qu’une maison en dur. Les militaires nous invitent dans leur cabanon de repos. On partage un repas, sous deux AK47 qui trônent sur le mur.
Démesuré pour surveiller notre tente, non ? Soit, nos affaires sont en sécurité.
On comprend ensuite que c’est une brigade équine, l’écurie est juste en face. Le commandant nous y emmène et nous présente fièrement ses chevaux qu’il bichonne avec amour ! On passe ensuite la soirée à s’enfiler des litres de çay – pour le plus grand bonheur d’Anai…- devant les « informations de la violence ». Un journal télévisé qui recense tous les faits divers les plus violents du monde entier. Probablement l’une des émissions télévisée les plus malsaines que l’on ait jamais vues; tout cela dans une ambiance chaleureuse et bienveillante : un déstabilisant mélange !
Agzikara. Après quelques jours de repos et de réglages d’éléments pratiques, on se remet en route en direction d’un lac magnifique: le spot de bivouac parfait à un détail près : le vent et absolument rien pour s’abriter ! Un peu secouées par les derniers coups de souffle, on pousse plus loin.
On s’arrête au premier (et dernier) supermarché des environs. Alors qu’on se délecte d’un breuvage frais, les vendeurs nous apportent (silencieusement) de l’eau chaude et des cappuccinos solubles, sur le parking : royal !
On repart le ventre plein en se demandant tout de même comment on va pouvoir trouver un endroit coupé du vent: à l’horizon les montagnes sont nues et les arbres et habitations sont rares. Après une bonne vingtaine de kilomètres, l’univers nous a encore entendu ! Sur notre gauche, un petit bosquet vert : exactement ce qu’il nous fallait ! On s’enfonce dans le chemin qui mène au coeur de cette végétation protectrice. On aperçoit un sac à dos et les vestiges d’un feu pour faire du thé – surement les affaires d’un berger. On s’installe un peu plus loin, cachées par les arbres. On est invisibles de la route, ça fait déjà deux heures, on n’a croisé personne ! Soudainement, gling, 1 mouton, puis 2 – 3 – 10 se rapprochent de nous. Le berger vient nous voir et s’interroge sur notre présence ici. On ne comprend pas, et le traducteur ne nous aide pas : ses formulations sont trop complexes et en français, ça n’a aucun sens. On comprend tout de même que selon lui c’est trop dangereux de rester ici. On lui demande pourquoi – car exceptés les moutons, il n’y a personne ! Il explique que c’est dangereux car nous sommes des femmes ! Il nous propose d’aller 200 mètres plus loin du « chemin », pour être encore mieux cachées. On ne voit pas vraiment la différence, mais on obtempère. On aura beau le trouver un peu étrange sur le moment, il est juste bienveillant !
Réveil très frais. Cette nuit, la température est descendue à 5°. Les jambes engourdies, on consulte la météo : ils annoncent 0° à 2200 m. Mission pour notre dernier bivouac en Turquie : trouver un plaid sur la route !
Après une journée à pédaler, le vent dans la face, dans l’aridité des paysages vallonnés (encore), les montagnes deviennent légèrement plus affutées, plus raides aussi et subtilement plus vertes : on s’apprête à changer de pays. Notre mission réussie (étrangement facilement), on monte la tente dans une bâtisse en ruines dont les derniers murs encore debout nous abritent du vent.
Aux portes de l’Iran, la nuit sera courte, pleines de questionnements et d’appréhension pour ce passage de frontière tant redouté des voyageurs.
Dans notre cas, à tort. Dès les premiers mètres on nous enveloppe de bienveillance, de générosité et de gentillesse. Et ça continue !