[ Grèce J+107, 3824 km – Du 6 au 28 juin ]
On a pédalé à travers les routes (désertes) de la Macédoine Grecque, bien loin de cette Grèce des cartes postales et des livres d’histoire ! On cherche encore les monsieurs tout nus et bien sculptés (nous aurait-on menti ?!) mais par contre on a trouvé des bondieuseries PARTOUT ! On ne pensait pas pouvoir trouver un pays plus croyant que l’Italie : la Grèce nous aura glorieusement donné tort ! Les chapelles miniatures sont légions : sur les bords de route, derrière les bosquets, devant les maisons… On trouve même des autels DANS les demeures. Le tout est joliment arrosé de fresques et mosaïques colorées !
La Grèce à vélos, c’est aussi le pays tant redouté pour ses fameuses « meutes de chiens sauvages dans les montagnes » évoquées a de très nombreuses reprises par les cyclotouristes (et même les voitures!).
Ici, on transpire l’huile d’olive, mais c’est un pur régal !
La découverte de ce pays aura été sous le signe de « vréki vréki » (la pluie, la pluie) !
Pour voir encore + de photos (loin d’Athènes et autres lieux mythiques) c’est par ici !
Frontières . Les paons sont à table pour nous accueillir au poste de la douane. Après cet accueil chaleureux, nous voilà sur des routes désertes ponctuées de fermes et de bâtiments abandonnés sous un temps post-apocalyptique. C’est calme. Bien trop calme.
Florina. On rencontre deux allemands très chouettes qui se dirigent vers Istanbul. Deux fusées qui vont à toute allure : nous ne les recroiserons donc probablement jamais ! Quelques minutes après s’arrête Hans, un autre allemand qui prend la même direction ! Décidément, Florina est un véritable carrefour de voyageurs. Alors qu’on reprend la route, l’orage nous rattrape. On décide de pédaler quand même en faisant des pauses lorsqu’il pleut trop fort. Notre GPS nous guide sur des sentiers à travers des champs où l’on distingue clairement des empreintes de pattes de chiens fraiches dans la boue (on se raidit) .
La pluie se calme, et le soleil fait même son apparition; miracle (de courte durée).
Sitaria . À la sortie du village, on s’engage sur un chemin de terre d’où l’on aperçoit un grand hangar au portail ouvert. Un gros chien un peu fâché sort en aboyant et se dirige vers nous. On s’arrête et descend du vélo en tentant d’ouvrir les négociations pour passer. Rapidement, les gros copains rappliquent : un, puis deux, puis trois, puis quatre, puis… On a du mal à discerner le nombre de compagnons du premier « toutou » qui logent ici. Une chose est sûre : ils sont déjà une dizaine, ne sont pas très polis et sont bien décidés à faire barrage. On essaie vainement plusieurs techniques : de la sympathie à la menace en passant par la diplomatie : ils continuent d’avancer vers nous. Un peu sonnées, on recule doucement.
Très doucement.
Sur une centaine de mètres (qui paraissent une éternité) jusqu’à un homme accoudé à son pick-up rouge. Une fois à sa hauteur, il nous fait comprendre en Grec qu’il faut éviter de passer par cette route, et nous offre des oeufs fraichement pondus ! La pluie refait son apparition. Wassily nous invite à entrer dans sa ferme pour s’abriter.
La communication est plus que compliquée; on ne comprend absolument rien ! Mais notre sauveur fait preuve d’une patience démesurée et répète inlassablement des phrases ponctuées de « Katalavèss ? » (compris??) -on se rappelle que « nè » c’est « oui » en grec : ça ne simplifie pas l’affaire! On fait le tour du propriétaire : vaches, brebis, chèvres, cochons, poules et il tend à Anai un bâton. Elle le prend, sans trop savoir quoi en faire. Il semble lui demander de venir traire les brebis. Et les voilà tous les deux dans la bergerie pour la traite du soir !
Le travail terminé, Wassily nous fait comprendre qu’avec la pluie il vaut mieux qu’on s’arrête et qu’on peut mettre notre tente ici, à la ferme. On monte donc la maison, un peu rassurées de ne pas avoir à reprendre cette délicieuse route sous la pluie, de nuit. Il nous explique ensuite (à coups de grands mimes, mouvements de bras, déboutonnage de chemise) qu’il passe chez lui se changer et qu’il revient nous chercher pour aller boire un verre à Florina (« Florina », ça, on comprend !).
Pause. Attente. Questionnements. Va-t-il revenir ?
On avait bien saisi ! 30 minutes plus tard, Wassily est de retour, propre comme un sous neuf, avec une nouvelle voiture ! Il nous emmène au Kebab puis il a l’air de dire qu’on va rejoindre des gens pour aller danser. On ne comprend toujours pas grand chose, mais sa motivation et son entrain nous font capituler : on continue de le suivre, à pieds, dans les rues de la ville, essayant silencieusement de mettre bout à bout les bribes d’interprétations pour créer un scénario plausible. On reprend la voiture et on ne se dirige pas vers la ferme : plus aucun de nos scripts ne colle et il commence à faire nuit noire. Nous voilà donc dans la voiture sur une petite route de montagne assez étroite et on n’a aucune véritable idée de où l’on va !
Dans nos têtes, secrètement, chacune de nous commence à imaginer les pires scénarios, est-ce qu’on est dingues de partir avec un inconnu qu’on ne comprend ABSOLUMENT pas ? Où est-ce qu’il nous emmène ? On était juste censées aller dans un bar et rentrer ! L’absence de lampadaires sur les bords de route nourrit l’imagination de « Portées Disparues ». Pour autant, notre intuition nous rappelle à l’ordre « on peut lui faire confiance ». Après 45 longues minutes à serpenter et entretenir une conversation où personne ne se comprend (tenir le volant empêche grandement d’imager les mots), la LUMIÈRE !
Nous voilà arrivées dans un village, de nombreuses voitures garées dans les moindres recoins et des gens qui affluent de tous les côtés. En fait, Wassily voulait nous emmener dans une fête de village organisée pour la Pentecôte orthodoxe. On s’installe avec lui à table, on se bagarre gentiment pour savoir qui paie les boissons et la nourriture, mais Wassily tient absolument à nous inviter. On cède ! La musique démarre et la foule se lève pour se lancer dans une danse traditionnelle collective où femmes et hommes se tiennent par les mains en faisant des pas rythmés. Nous voilà dans une foule d’une centaine de personnes, avec Wassily, tentant de reproduire maladroitement les pas de danses, au rythme de ce gigantesque cercle qui ne cesse de s’agrandir : il n’y a pas que sur le pont d’Avignon qu’on y danse tous en rond! Loin de la Grèce touristique (très très loin), nous voilà pour un premier soir baignées dans l’authenticité !
Tous les trois fatigués, on décide de repartir pour aller se coucher. On doit retrouver notre tente et nos vélos à la ferme. Wassily nous fait comprendre qu’on retourne à « spiti » (on se dit que ça doit être le nom du village ou de la ferme) ! Sauf qu’arrivés à Sitaria, Wassily ne se dirige pas vers notre tente mais s’arrête dans le village, dans un corps de ferme. Il bondit de la voiture sous les aboiements du chien, toque à l’une des portes, une dame âgée sort et lui tend une couette sous nos yeux remplis d’incompréhension. (On comprend bien plus tard que c’est sa maman). Il nous invite à entrer dans la maison et nous guide vers une chambre. En fait, depuis la guinguette, il nous explique qu’après on ira tous les trois à la « spiti » : la MAISON ! Tout s’éclaire, il nous invite chez lui!
Une pointe de stress avant de fermer les yeux : on a laissé nos vélos et l’entièreté de nos affaires dans la ferme fermée par un fil de fer et gardée par un chiot de 3 mois… Sacré exercice de lâcher prise ! On se sent un peu bêtes d’avoir eu quelques doutes (parfois nécessaires à notre survie) dictés par toutes les conventions de la société, les Unes sordides des journaux et autres enquêtes policières glauques ! Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque sa maman vient nous apporter… des pantoufles et un pyjama pour la nuit !
Quelques heures plus tard, pour couronner le tout de cette journée riche en émotions, Anai, qui n’a pas digéré le kebab, a passé la nuit dans la salle de bain ! Encore un énorme merci à notre ami Wassily ! À priori, on s’est donné RDV l’année prochaine (en traçant « 2022 » puis « 2023 » sur le sol et en pointant les vélos puis la ferme)!
On croise Hans le lendemain : il avait pris un hôtel à Florina et comme nous, il pédale vers Edessa, petite ville agréable connue principalement pour ses chutes d’eau impressionnantes ! On est sur une route paisible quoique parsemée de panneaux qui indiquent la présence d’ours et de sangliers : ça ne donne pas trop envie de dormir ici !
Edessa à Thessalonique . La route est longue, droite et particulièrement monotone; mais, point positif, le trafic est plutôt calme avant de pénétrer l’enceinte de la ville ! On croise Hans, ENCORE.
Plus que 10 km avant notre point de chute mais l’orage qui nous guette depuis un moment nous rattrape ! On s’abrite sous un barnum installé dans la zone industrielle (probablement pour effectuer les fameux tests covid) avec tous les deux roues de passage -on finit par être une grosse dizaine à attendre patiemment une accalmie ! On rencontre 2 croates (très très chouettes) qui voyagent à moto. C’est l’occasion d’ausculter mutuellement nos montures. Puis, avant de partir, l’un des deux nous lâche « vous seriez mes filles, je ne vous aurais pas laissées partir ». On rigole et on repart gaiement dans les flots du déluge qui nous trempent jusqu’aux genoux, dans les embouteillages qui nous obligent à mettre les jambes dans l’eau.
Thessalonique. Pause peu reposante, on n’a pas fait de vélo mais on a tellement marché pour découvrir les recoins de cette ville ! Nos genoux ont du mal à plier, on se sent un peu coincées comme des Playmobils ! Cette ville est redoutable de contrastes : les vestiges millénaires ne cessent de côtoyer joyeusement et sans complexe les barres d’immeubles et les graffitis. Giorgios nous confesse : «Thessaloniki, c’est une personne laide, c’est en la côtoyant longtemps qu’on voit sa beauté et qu’on finit par l’aimer de tout notre être ».
On profite de cette ville pour régler les problèmes mécaniques sur le vélo d’Anai: nouveaux dérailleur, cassette et chaine ! On ajuste aussi le dérailleur de GG. On espère bien reprendre la route avec des vélos comme neufs !
Être en ville c’est aussi faire des rencontres différentes. On se retrouve autour d’un verre avec des parisiens qui travaillent dans la finance et qui vont vite, très vite. Les rencontres n’arrivent pas par hasard : on se dit que c’est une bonne petite piqure de rappel de certaines réalités qui nous semblent à des années lumières de nos modes de vie et de pensée !
Agios Vasileios : Άγιος Βασίλειος . Petite étape pour repartir en douceur. On repère un lac sur la carte qui doit pouvoir nous offrir un spot pour la nuit. En face, on s’arrête dans un restaurant, une cigogne de compagnie pas très farouche se pavane à distance raisonnable des tables. Quel bel oiseau perché sur ses fines échasses !
On demande au serveur si on peut planter la tente dans les parages : c’est un oui, sans aucune hésitation. Il revient nous voir un peu plus tard en commençant par «J’ai parlé à mon boss et… » On commence déjà à se dire que son boss n’est pas très favorable à ce qu’on reste dans les parages. Mais non ! « Il y a trop de moustiques près du lac et les lampadaires ne marchent pas ! » Il nous propose donc de bivouaquer sur la pelouse (et terrasse) du restaurant ! Wahou. Quelle bienveillance; encore une fois. On s’installe à quelques mètres des tables.
Notre présence intrigue et les habitants en promenade digestive du dimanche soir viennent tour à tour nous questionner avec sympathie sur notre voyage. Le prêtre du village qui parle français vient à son tour à notre rencontre et nous lâche un : « Je ne pense pas que ce soit très… Hm… Safe ici.» puis s’en va sans nous donner plus d’information… Théâtral. Glauque. Tous les scénarios sont possibles. On passe une merveilleuse nuit quand même. Avec le recul, on pense qu’il s’est imaginé qu’on avait planté la tente dans le restaurant sans demander l’autorisation du propriétaire !
Asprovalta . On a retrouvé la mer ! Gros changement de décor et bivouac de luxe au bord de la plage, avec douche et toilettes abandonnés mais fonctionnels. On plante la tente à côté du camping-car d’un couple de polonais installés ici depuis déjà une semaine ! On fait la rencontre d’un chien (qu’on appellera Tommy le temps d’une soirée) qui prend plaisir à effrayer les dames qui marchent au bord de la mer. La scène est assez cocasse. Elles agitent un bâton pour lui faire peur. Incompréhension.
Tommy leur fonce dessus joyeusement pour l’attraper: elles nous font des grands signes apeurés pensant que ce chien est le notre !
Kavala. Nos amis polonais nous avaient dit « c’est super Kavala, c’est magnifique et il y a la maison de Mohamed Ali, mais pas le boxeur »! En fait on a compris plus tard qu’il y a la maison de Méhémet Ali, Officier Ottoman et vice-roi d’Egypte considéré comme le fondateur de l’Égypte moderne ! On fait une pause dans un restaurant, le serveur est hyper content de croiser des vélos et nous offre même une bouteille d’Ouzo !
En reprenant la route, on trouve un complexe thermal abandonné. Les bains d’eau de source chaude (40°!) sont toujours accessibles, gratuitement. Les locaux continuent de venir profiter de cet endroit naturel incroyable et on n’est pas mécontentes d’avoir, nous aussi, bravé la porte d’entrée peu chaleureuse.
Bivouac boueux à Nea Kessani Νέα Κεσσάνη – parc national de la Macédoine orientale et de la Thrace.
Encore une fois, on se fait rattraper par un orage, un vrai déluge ! On se réfugie dans une station service, la dame nous accueille chaleureusement avec des tabourets ! On profite d’un moment de répit pour reprendre la route. Au village suivant, un homme adorable nous offre un bon kilo de mirabelles pas mûres et un concombre. En sortant du même village, un chien nous explique sans détour qu’il n’est pas très content de nous voir. On se sent à nouveau bloquées mais un garçon d’une dizaine d’années débarque pour nous sauver avec son pistolet à eau : très très très efficace !
On sort de la route pour trouver un endroit où planter la tente près d’un lac. Nous voilà nez à nez avec un croisement particulièrement boueux, mais on y va quand même car la suite a l’air praticable ! On porte les vélos à deux, nos pieds et les roues s’enfoncent dans une boue glissante et sableuse. On se croit sorties d’affaire, mais le chemin que l’on pense empruntable est en fait un vrai sable mouvant !
On s’arrête -littéralement- tous les 10 mètres pour retirer des poignées de boue sableuse et rocailleuse coincée dans les freins, les portes bagages et toutes les parties sensibles (On est heureuses que Gérard et Renaud n’aient pas vu ça !). On a mis près d’1h15 à parcourir 800 mètres dans cette gadoue; bon point: parait que c’est bon pour la peau !
On arrive enfin près du lac, accueillies par une nuée de moustiques (« la CAMARGUE ?! » ) qui nous dissuade de planter la tente. On s’installe un peu plus en retrait, près d’une chapelle. Cerise sur le gâteau: on y trouve un tuyau d’arrosage pour nettoyer les vélos couverts de boue ! Le timing est parfait, juste le temps de s’installer et de laver les bécanes avant que la pluie (et cette fois, l’orage) nous régale à nouveau.
Départ le lendemain matin, la route est évidement dans le même état, même si on a essayé un autre chemin. On tombe sur une bergerie en taule gardée par une troupe de chiens (et oui, ENCORE!), un monsieur sort pour nous escorter. Les chiens n’avaient pas l’air si méchants, ils veillent simplement sur leur troupeau ! GG qui n’a pas voulu porter ses chaussures mouillées de la veille se retrouve en tongs dans un chemin collant à la boue verdâtre : doux mélange de fumier, d’urines de biquettes et autres douceurs de la bergerie ! On n’est plus à ça près !
Le soleil se pointe enfin et on longe la côte sauvage et des étendues agricoles très peu peuplées ! On a eu l’occasion de nettoyer les pneus en traversant les flots d’une route inondée -peu surprenant vue la météo des derniers jours ! (ça rafraichit)
Anai traine la patte depuis plusieurs jours, petite déchirure ? Une pause s’impose au Kryoneri camping. Après une discussion avec la gérante, on décide de faire un crochet par Istanbul pour l’anniversaire de GG; on n’est plus à 300 km près !
Toudou ça monte jusqu’à Alexandroupolis où on se rend compte qu’on suit la Via Egnatia, l’ancienne route commerciale romaine ! Il y a vraiment peu de circulation, on se demande où sont toutes les voitures !
Cette partie de la Grèce est particulièrement agréable: des routes rien que pour nous !
On traverse des villages paisibles où tous les habitants nous stoppent pour nous indiquer la direction de la Turquie à vélo alors qu’on cherche simplement un endroit où planter la tente !
Comme quoi, on ne pouvait visiblement pas contourner ce pays !
Une réponse
« Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque sa maman vient nous apporter… des pantoufles et un pyjama pour la nuit ! » – Trop beau ! Magnifique de générosité et de compassion ! –
En vous lisant, on s’en bien que votre périple est un double voyage : extérieur et intérieur, un sacré voyage initiatique qui se déroule bien sûr avec tous les ingrédients d’un conte qui s’enchaînent : péripéties, obstacles, événements perturbateurs, ennemis, alliés, résolutions,,
Cela me rappelle une magnifique chanson de Julos Beaucarne qui se résume à ceci : « Le seul voyage à faire, C’est celui d’en soi-même. » , je ne me rappelle plus du titre exacte mais je peux retrouver.
Je profite de ce commentaire pour partager avec toi Anaîs un souvenir marquant de papi Jean-Louis qui m’est revenu en voyant tes dessins où tu n’hésites pas à mêler signes et figures chrétiennes et orientales. Sur le rebord extérieur de notre fenêtre de cuisine Michel aime à aligner des statuettes de la vierge qu’il est amené à dénicher (Eh ! oui, Michel porte une attention pour la vierge assez inexplicable d’un point de vue rationnel) s’y trouvent également une tête de Bouddah en laiton creuse. Je me souviens donc de papi, lors d’une de ses visites chez nous, avoir pris une des statuettes et s’évertuer à tenter d’assembler les 2. C’était pour moi à la fois bien sûr inattendu et aussi chargé de sens.
Bien à vous 2,
Namasté,
Sylvie